J’ai appris un nouveau mot, bien utile !
L’ultracrépidarianisme. Je pense que je peux me le répéter souvent
et j’imagine vraiment ne pas être la seule
Qu’est-ce donc que l’ultracrépidarianisme ?
un sport devenu très commun, couru même et pire, très à la mode
jusque dans le monde des gouvernants, avec de – trop – nombreuses
compétitions et beaucoup d’adeptes. L’ultracrépidarianisme signifie
littéralement que « le cordonnier doit s’arrêter à sa chaussure », en
traduction littérale de la locution latine : Suto, ne supra crepidam.
Toujours obscur me direz-vous. Pas du tout.
Car l’ultracrépidarianisme, c’est cette assurance propre à l’incompétence,
« je ne suis pas épidémiologiste, mais je pense que »,
« je ne suis pas infectiologue mais pour le vaccin je pense que… »
Je dois à l’épatant philosophe des sciences, Étienne Klein, d’avoir
appris ce mot jouissif qui est un glaive pour nous tous.
Car voilà, chacun se sent spontanément compétent.
Et nous avons tendance à écouter ceux qui parlent de tout comme
s’ils nous rassuraient par leur pseudo-certitude, alors que ceux qui
savent, un peu, doutent et parlent en nuance.
L’ignorance rend plus sûr de soi que la connaissance.
Le 5 avril* dernier un journal parisien effectuait un sondage afin
de savoir si tel médicament est efficace ou non contre la covid 19,
alors que nul ne connaissait cette réponse. *un article qui date un peu
Près de 80 % des français ont répondu oui ou non,
20 % seulement osant dire ne pas savoir.
Qu’est-ce qui nous empêche donc de dire « je ne sais pas ».
Quand certains clament, urbi et orbi, à la ville et au monde, des
conclusions simples et tranchées, il faut savoir résister et se donner
le temps. La demande de certitudes ne rendra pas un traitement plus
efficace ! Seul le travail rigoureux, confronté, analysé, éprouvé, le fera.
Le danger, non des moindres, de cet ultracrépidarianisme, est de ranger
les sciences – et leurs débats nécessaires- au rang des croyances.
L’idée de vérité s’en trouve ainsi lentement abrogée et c’est la possibilité
d’un monde commun qui se trouve en souffrance. Au bout du compte,
c’est le réel qui est sommé de se taire. En 1992, au lendemain de la guerre
du Golfe, un auteur américain[1] constate que le peuple, après les mensonges
de Richard Nixon, en est venu à avoir peur de la vérité́.
Il écrit « Nous ne voulons plus de mauvaises nouvelles, nous attendons
donc du gouvernement qu’il nous protège de la vérité́.»
Gardons-nous de toute nos forces de cette pathologie-là, chacun, et
aiguisons nos oreilles quant à ceux qui s’autoproclament haut et fort
experts des choses les plus complexes.
Quand on a envie d’un miracle, il faut savoir attendre[2].
Cette maxime de Günter Grass est à méditer !
Lisez plutôt Le goût du vrai d’Etienne Klein, chez Tract Gallimard, juin 2020.
Véronique Margron op.
[1] Steve Tesich, dans un pamphlet intitulé The Wimping of America
(« La déroute de l’Amérique »). Cité par Etienne Kein.
[2] Dans Le Tambour, 1961.